C’est seul sur scène, simplement entouré de son instrument de prédilection, la basse électrique, et de quelques pédales de loop, que Rich Brown se produira sur les planches du Festi Jazz le 4 septembre prochain, dans le cadre de la série des Nuits jazz. Bien que reconnu pour son étonnante versatilité, celui qui se veut à la fois bassiste, compositeur, leader de band et clinicien marque surtout les esprits par son groove inaltérable. À l’occasion de sa venue dans la région de Rimouski, j’ai eu le privilège de m’entretenir avec Brown, un artiste dont la parole s’exprime, à l’instar de sa musique, dans le calme et l’intelligence – sans pour autant mettre de côté la rigolade.
Un parcours sous le signe du dévouement
Rich Brown a commencé sa carrière au sein de la scène locale jazz de Toronto, puis s’est rapidement fait remarquer par ses pairs, devenant à travers ses années de pratique l’un des musiciens les plus sollicités de la scène jazz canadienne. La bassiste a effectué de multiples voyages et collaborations, notamment en compagnie du saxophoniste Rudresh Mahanthappa, et de plusieurs autres grands noms, tels que Steve Coleman, Angelique Kidio, Carol Wesman & James Blood Ulmer, pour ne nommer que ceux-là. Par le biais de son travail de composition en solo et de ses deux projets de formations, rinsethealgorithm et The Abeng, Brown a également fait paraître trois albums à ce jour. Ceux-ci sont par ailleurs principalement accessibles par le biais du site Bandcamp, une décision qui se veut politique alors que l’artiste juge que les façons de faire des plateformes de diffusion commerciales sont inéquitables envers le travail des artisans du son.
Si le musicien est aujourd’hui un bassiste de renom, il faut savoir que ce n’est pas tout à fait ce à quoi il aspirait lorsqu’il a entrepris son parcours en musique : « Quand j’avais 13 ans, j’étais déjà convaincu que je voulais devenir un guitariste professionnel, alors que je jouais depuis mes 6 ans. Je me suis alors mis à m’exercer pour atteindre cet objectif… jusqu’à que je réalise en arrivant au secondaire que l’école était surpeuplée de guitaristes », relate en riant le musicien. C’est dès ce moment qu’il se met donc à la basse, sous-estimant d’abord la difficulté de l’instrument, puis étant rapidement intrigué d’en expérimenter les possibilités, en dehors du rôle traditionnel assigné au bassiste.
C’est par le biais d’une entrevue donnée par le trompettiste américain Wynton Marsalis que Rich Brown s’intéresse d’abord au jazz: « Il y mentionnait deux choses qui allaient assez m’intriguer pour que je change complètement de direction en tant que musicien : que l’idée même du jazz reposait sur l’improvisation, et que c’était probablement la forme musicale la plus difficile à jouer. », explique-t-il. Pour le jeune musicien, ces paroles font du jazz un synonyme de brain food et Brown a l’appétit vorace de comprendre cette nouvelle matière. Ce qu’il s’applique à faire avec énergie, et de façon entièrement autodidacte, jusqu’à sa rencontre avec le multi-instrumentiste Bill Grove, qui devient son mentor à l’époque. Ce dernier lui enseigne les rudiments du solfège avant chacune des pratiques du groupe dont il est le leader, et auquel il intègre Rich Brown. Néanmoins, l’écoute sans failles du bassiste reste encore à ce jour son meilleur outil de lecture musicale.
‘’Gratitude is my attitude’’
Lorsqu’il est question du processus créatif, le musicien n’a qu’une notion en tête : « Afin d’être en mesure de créer, il est nécessaire pour moi d’être dans la gratitude, un état dans lequel je me sens privilégié de pouvoir m’épanouir et vivre de mon art. J’ai aussi à l’esprit un sentiment de responsabilité, celle de créer une musique porteuse de sens, pour moi-même certes, mais aussi pour les auditeurs. C’est vraiment là que tout débute ». Mais pour en arriver à ce point tournant, où le musicien sent qu’il maîtrise une musicalité qui lui appartient, et pour laquelle il n’a besoin que de quelques heures de pratique quotidienne, il en va du travail d’une vie, alors que Brown précise que pour sa part ce n’est que depuis une dizaine d’années qu’il a atteint ce niveau.
C’est dans la même suite d’idée que, lorsque je demande au musicien quel rôle la basse joue, selon lui, dans un ensemble musical, il renchérit ainsi : « Outre le fait que la basse et la batterie soient considérées comme les fondations en musique, je considère que le rôle du bassiste est le même que celui des autres musiciens : il consiste simplement à honorer la musique. Pour faire cela, il est impératif de tenir son ego loin de celle-ci. » Car l’ego fait deux choses : il nous fait sentir soit extraordinaire, ou à l’inverse, médiocre, et dans les deux cas il ramène la musique à notre propre personne, ce qui la corrompt inévitablement.
Reprendre le tempo
Tout au long de son parcours, Rich Brown a joué sur plus de 60 enregistrements et a eu le privilège de collaborer avec nombre d’artistes aux styles diversifiés, explorant ainsi autant le jazz et le funk que la musique latine ou traditionnelle arabe. Des expériences qui aujourd’hui sont la somme d’une signature musicale unique au compositeur. Une ouverture qui rythme l’approche artistique de Brown, qui, après plusieurs mois de ralentissement de la scène musicale, a plus que jamais l’esprit foisonnant de projets. « Je sens qu’il est temps pour moi de travailler sur un nouvel album solo, le dernier étant sorti en 2015, déjà… le temps file! J’ai aussi en tête de créer un projet collectif, qui inclurait cette fois un côté vocal important. », me raconte l’artiste. Il m’indique du même souffle, que, dès la fin de l’entrevue, il s’en va retrouver les membres de sa formation Abeng, pour une première pratique après plusieurs mois d’arrêt forcé! Il faut ajouter que, lors de cette longue période d’inactivité du milieu culturel, Rich Brown ne s’est pas ennuyé, alors qu’il en a profité pour d’abord, exploiter son petit côté ermite, me raconte-t-il en riant, puis surtout, pour créer une chaîne Youtube, The Brown’stone, sur laquelle il prodigue depuis six mois de nombreuses leçons de basse.
Or, rien n’égal le plaisir de jouer sur scène, et le bassiste se dit fébrile à l’idée d’explorer plusieurs nouvelles idées à l’occasion du spectacle qu’il offrira en solo lors du Festi Jazz, pour lequel on peut, semble-t-il, s’attendre à des sonorités inédites pour un concert de basse électrique! Brown désire offrir une prestation tournée vers le public : « Je veux que chaque personne, qu’elle soit sur scène ou dans la salle, ait la même expérience d’écoute. Pour moi, il est sans intérêt de présenter une prestation qui se résume à un bassiste qui fait la démonstration de ses chops pour les trois autres joueurs de basse dans l’audience. », explique en riant Rich Brown. Ainsi, on peut achever de mettre dehors les quelques préconceptions que l’on pourrait avoir face à une prestation solo de basse et simplement s’attendre à une bonne dose de plaisir collectif pour ce concert qui a de quoi intriguer.
Le spectacle Rich Brown Solo Project se tiendra le samedi 4 septembre prochain à la salle Bouchard-Morrisset
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